Ce format s'appelle booksprint. Le concept est simple : il s'agit d'écrire un livre en quelques jours avec de nombreux contributeurs. La mise en oeuvre, quant à elle est beaucoup plus complexe. Il faut synchroniser le travail de chacun, partager une vision de fond, s'accorder sur un style si l'on veut une certaine homogénéité d'ensemble. Comme j'ai eu la chance de participer il y a 10 jours à une édition pour le Petit guide de management lean à l'usage des équipes agiles, je vous livre mes impressions et descriptions en "embedded".

Vendredi soir

Nous découvrons le lieu dans lequel nous allons résider tout au long de ce stage d'écriture. Retiré, dans les champ, au vert et au calme. C'est un ancien hôtel dans lequel nous avons accès aux cuisines ainsi qu'à toutes les chambres. Parfait pour l'ambiance de travail. Il y a plein de matériel (post-it, stylos, clés USB, feutres, marqueurs...), une grosse imprimante, du réseau wifi et un répertoire DropBox.

Nous sommes 7 (3 personnes arrivent le lendemain matin). Notre hôte Régis, nous dévoile le mur déjà bien chargé en post-it qui va nous servir tout au long du booksprint : en amont du booksprint, a été conçu l'architecture globale. L'objectif du livre, les rédacteurs, les lecteurs types, la liste des chapitres du haut vers le bas et en largeur, l'architecture de chaque chapitre, tout est affiché :

IMGP3622.jpg

Chacun des 4 chapitres : client, management visuel, amélioration, qualité contient une partie agile, une partie lean, des exemples, les premiers pas, et pour aller plus loin. Ce sont autant de "pièces" à produire.

Le soir même nous faisons un flash meeting pour construire ensemble une liste d'exemples que nous essayons de classer par chapitre, et convenir d'un flux d'écriture :

  • rédaction en binône lean/agile
  • relecture de compréhension par plusieurs autres personnes et retour aux auteurs
  • relecture de cohérence par qui ?
  • ajout d'illustrations

Nous convenons qu'il faudra commencer à produire dès le lendemain à 10h.

Chacun participe à la vie commune, la logistique de la première soirée est fluide ; nous sommes autonomes et auto-organisés.

La promesse du livre c'est : «apprendre à aligner l'organisation sur la satisfaction client pour faire rapidement des produits que les gens ont envie d'acheter». Nous avons 5 jours pour faire un livre que les gens aient envie de lire.

Antoine nous raconte une anecdote issue d'un retour d'une personne ayant assisté à sa conférence la semaine passée :

je comprends, le lean c'est fait pour donner des déclics

Cette histoire résonne parmi les personnes présentes, et nous nous disons que c'est un bon critère : pour chaque thématique/chapitre du livre il faut qu'il y ait un déclic.

1er jour

Arrivent les 3 personnes manquantes, ça y est nous sommes au complet. Les rédacteurs en binôme commencent à rédiger une partie au choix, pour laquelle ils ont le plus d'énergie. Pendant ce temps les nouveaux arrivants ont droit à une présentation de la situation.

L'objectif du premier jour est de sortir une bonne pièce (validée, constituant un exemple).

Comme ce sont des exemples vécus, la rédaction avance bien. La difficulté est de trouver des relecteurs. Nous n'avons pas de mécanismes d'itération pendant la journée, c'est compliqué de solliciter un binôme qui se trouve en pleine inspiration. Et puis l'exemple rédigé avec Antoine a nécessité beaucoup d'allers retours de relecture.

L'équipe décide d'ajouter au board global du livre un taskboard d'avancement pour visualiser l'état de chaque pièce.

Flash meeting du soir. Aucune pièce n'est sortie. Mais il y a un autre problème, les exemples rédigés sont très disparates, il y en a au passé, d'autres au présent, des avec on, d'autres avec nous, certains avec des prénoms. A peu près tous les cas de figures. Le style est tantôt soutenu tantôt détendu.

Deux questions se posent :

  • quelle forme doit-on employer ? Nous n'avons pas de standard d'écriture. Doit-on assumer la collégialité et les styles de chacun, ou avoir une certaine cohérence d'ensemble ?
  • quel est notre avancement ? Aucune pièce n'est sortie, nous ne savons pas ce que nous avons fait.

Le soir, après le dîner, tout le monde continue, et vers 1h du matin, un standard est proposé par Antoine et Régis :
consignesStylistiques

2e jour

Flash meeting du matin, entrain, nous décidons :

  • d'adopter le standard d'Antoine et Régis
  • de dessiner des camemberts plus ou moins remplis sur les posts-its représentant les chapitres pour rendre visible leur avancement
  • de nous concentrer sur le chapitre management visuel
  • d'un illustrateur : Pierre, le plus doué en dessin
  • de procéder à la validation par 3 signatures de la pièce
  • d'arrêter l'utilisation du taskboard d'avancement qui n'est pas mis à jour : il ne sert à rien

Nous sommes en usine. Nous sommes des ouvriers du livre devant nous organiser sur notre chaîne. Nous avons 38 pièces à produire. Nous devons expérimenter ce dont nous parlons dans le livre, le vivre pour mieux en parler, s'imprégner des techniques, du vocabulaire.

L'objectif de la journée est de terminer le chapitre management visuel.

Je binôme avec Raphaël sur la partie agile. Nous n'avons pas beaucoup de matière théorique, mais nous avons des illustrations. Il y a pas mal d'agitation. C'est un peu laborieux : nous n'avons pas trouvé de moyen technique simple de binômer, j'essaye de trouver des illustrations. Je regarde les autres en action, j'ai l'impression d'être extérieur. Qu'est-ce que je fais là ? Je doute.

Flash meeting après le repas et encore des problèmes :

  • perte de valeur lors de relectures (passages essentiels supprimés ou édulcorés)
  • allers-retours nombreux entre rédacteur et relecteurs
  • temps morts
  • intégration d'illustrations

Proposition de Régis :
Il faut se mettre en flux : il joue le rôle de chief engineer qui assure la relecture finale. Le binôme Antoine/Christophe relit et modifie directement le texte sans repasser par le binôme d'écriture. Comme sur une chaine de production lean, si quelqu'un rencontre une difficulté, il tire l'alarme (andon) et Régis intervient pour débloquer.

Par ailleurs nous décidons que nous ne mettons pas au format électronique les illustrations « temporaires » et nous ne les intégrons pas.

Et puis nous assignons une priorité 2 au chapitre Client pour ne pas avoir des personnes bloquées.

Enfin, les chapitres "qualité" et "amélioration" sont fusionnés sur proposition de Christophe K. Nous passons de 38 pièces à 25 pièces (27 dans le livre au final).

J'ai le sentiment que le travail est fluidifié, nous n'avons plus à nous préoccuper de trouver un binôme de relecture. Nous pouvons aussi donner des pages avec des croquis sans avoir à passer du temps pour retravailler le format électronique des illustrations.

Le plus-vraiment-flash-meeting du soir dure 1h. Nous ratons une fois de plus l'objectif et nous n'arrivons toujours pas à savoir où nous en sommes. La mise en flux est mitigée, les binômes d'écriture trouvent que c'était plus facile, d'autres ont observé des blocages.

L'illustrateur a des difficultés pour faire le lien entre la pile de papier et les noms d'illustrations dans le document électronique : il est obligé de lire tout le chapitre. il voudrait une liste de choses à faire.

IMGP3659.jpg

Le soir, au dîner et après, se pose la question de la "coolitude" ou de la "ouf-itude" du livre : quels éléments provoqueraient cet effet ? En vrac, il est proposé :

  • le lean développe l'expertise des personnes
  • il se situe dans le champ des problèmes et non dans le champ des solutions
  • il permet de savoir parler avec son/ses managers (API compatible)
  • il pousse à résoudre les problèmes avec les autres (teamwork hors de l'équipe)
  • il apprend à "trouver les croix" : identifier précisément la racine d'un problème dans un environnement complexe

J'ai l'impression d'une certaine nervosité dans le groupe : il existe un doute sur le concept global et le risque de rater notre lecteur. En revanche j'observe toujours un haut niveau d'exigence : le good enough c'est pour le processus, pas pour les pièces livrées. C'est aussi peut-être ce qui fait que nous avons du mal à "sortir" des pièces.

Le constat est là, nous produisons, mais nous ne savons pas où nous en sommes, et nous ne visualisons toujours pas le livre. A suivre…