Ma fille, fervente adepte des coding goûters fait un parcours thématique pour le brevêt des collèges sur le sujet de la place des femmes dans l’informatique, et m’a signalé cette exposition “Computer Grrrls” à la Gaîté Lyrique. Si vous avez l’occasion d’y aller, courrez-y. Pour ceux qui ne pourront pas, voici une série de 3 articles qui propose un petit parcours historique de l’informatique avec un biais opposé à celui du récit habituel : en réhabilitant les femmes.
Nous verrons dans les deux prochains articles, pourquoi leur nombre a décliné et la contre culture “nerd”. Enfin, les mouvements de militantismes nécessaires à leur réinvestissement du domaine pour l’avenir.
Car oui, la place des femmes dans ce domaine n’a pas toujours été aussi faible que maintenant, comme le montre cette courbe :
La question à laquelle nous voulions répondre en allant à cette exposition était :
Pourquoi la proportion des femmes dans l’informatique chute brutalement et durablement à partir de 1984 environ ?
Au départ était la programmation… sur le papier : en 1843, Ada Lovelace part de la description de la machine analytique de Charles Babbage pour réaliser le premier programme destiné à être exécuté par une machine. Cela lui vaut d’être considérée comme la première programmeuse.
Un peu plus tard, les machines à écrire sont de plus en plus utilisées dans le métier de secrétaire essentiellement occupé par les hommes. Très vite, de par la proximité avec le piano et la minutie de la frappe, les femmes sont associées à la machine à écrire. Remington qui fabrique des machines à coudre (essentiellement utilisées par des femmes) se met à produire des machines à écrire. Entre 1870 et 1930 la part des femmes dactylos passe de 4,5% à 95,6%, devenant expertes des claviers.
Pendant la première guerre mondiale, les hommes étant au front, les femmes sont employées à produire des tables balistiques et de navigation. Elles sont appelées “computer”. Idem pour l’effort de guerre en 39-45, en plus elles aident aussi à déchiffrer les messages codés grâce à des machines de cryptanalyse à cartes perforées, comme Colossus, un ancêtre des ordinateurs. Sur Betchley park, le principal site de déchiffrage où travaillait Alan Turing, deux tiers des 10 000 personnes sont des femmes.
Egalement pendant la 2e guerre mondiale, en 1941, Hedy Lamarr invente un système de télécommunication pour le pilotage des torpilles radio-guidées. Il permet de rendre indétectables leur pilotage aux adversaires. Il s’agit de l’étalement de spectre par saut de fréquence ou FHSS, qui sert encore aujourd’hui pour le WIFI ou le GPS.
A la fin de la guerre six de ces femmes “calculatrices” sont embauchées pour programmer l’ENIAC (Electronic Numerical Integrator And Computer), un ordinateur de 25m et 30 tonnes destiné à faire des calculs balistiques. Elles sont appelées les “ENIAC girls” : Kay McNulty, Betty Jennings, Betty Snyder, Marlyn Meltzer, Fran Bilas, et Ruth Lichterman.
Au même moment, Grace Hopper, lieutenant dans la marine Américaine travaille sur l’ordinateur Harvard Mark I. Elle quitte la marine américaine pour le Computation Laboratory d’Harvard qui oeuvre au développement des ordinateurs.
En 1949 elle rejoint le projet UNIVAC I à Philadelphie, racheté par…la société Remington (qui se spécialise également dans l’informatique et deviendra plus tard Unisys). Elle pense que :
- un langage informatique doit pouvoir être créé pour fonctionner sur plusieurs machines différentes alors qu’à l’époque chaque machine avait son fonctionnement propre
- ce langage doit se rapprocher de l’anglais plutôt qu’une suite d’instructions machine comme l’assembleur.
Elle vient d’inventer le “langage informatique”. Ses idées serviront de base pour la création du COBOL en 1959.
En France, en 1955, IBM demande au philologue Jacque Perret de trouver une traduction au mot anglais “computer”. Il propose “ordinateur” pour la proximité avec le “Dieu qui met de l’ordre dans le monde”, mais préfère “ordinatrice électronique” :
En relisant les brochures que vous m’avez données, je vois que plusieurs de vos appareils sont désignés par des noms d’agent féminins (trieuse, tabulatrice). Ordinatrice serait parfaitement possible et aurait même l’avantage de séparer plus encore votre machine du vocabulaire de la théologie. (…) Il me semble que je pencherais pour ordinatrice électronique.
IBM retiendra le mot “ordinateur”.
En 1958 Mary Kenneth Keller participera à la première implémentation du langage BASIC. Elle sera la première femme à obtenir un Ph.D en informatique aux Etats-Unis.
On peut le voir, à cette époque les femmes sont très présentes dans le domaine. Si bien qu’en 1967 il y en avait tellement dans l’informatique (à peu près 40%) que le magazine Cosmopolitan a publié un article sur les “Computer Girls” accompagné d’images de femmes au travail devant leurs ordinateurs et citant Grace Hopper
“Women are ‘naturals’ at computer programming”
Ajoutons encore deux anectodes : en 1969 Margaret Hamilton a permi à la mission Appollo 11 de se poser sans encombre sur la lune en dépit de la surcharge de l’ordinateur de bord au moment de l’alunissage. Son programme avait détecté les erreurs et exécutait de manière asynchrone les opérations non critiques.
Enfin en 1972 Karen Spärck Jones mathématicienne et informaticienne va développer le traitement du langage naturel et sera à la base de l’IDF (Inverse Document Frequency)
Elle dira :
“Computing is too important to be left to men.”
C’est justement à cette période que les hommes vont s’investir dans l’informatique et en expulser les femmes. La suite au prochain épisode.
Aussi dans la série :
- la contre culture “nerd”
- (A suivre) Au delà du féminisme